Capek et Krizik - l'hebdomadaire Radiojournal Karel Capek (premier à gauche) et Frantisek Krizik (assis) au moment de la diffusion du message de paix
Vers la fin de l'année 1937, quand le danger du fascisme en Europe
centrale s'annonçait
comme des plus urgents, un important événement, dans l'histoire du
Radiojournal, est
survenu: le 14 décembre, à 23 heures, l'ensemble des stations du pays de
la Radio tché-
coslovaque a adressé un « Message aux hommes de bonne volonté ». Des
messages de
paix furent lus par Frantisek K
izí
k (1847 - 1941), précurseur de l'électronique, sur
nommé l'Edison tchèque, et l'écrivain Karel
apek
(1890 - 1938). Frantisek K
izík
,
quatre-vingt-dix ans, s'est adressé à Albert Einstein, tandis que Karel
apek
à
Rabindranath Tagore. Dans son message, Karel
apek
a dit, entre autres : « Maître
Tagore, nous vous saluons de Tchécoslovaquie, pays dans lequel la neige
est sur le
point de tomber, depuis l'Europe, où la mélancolie est notre compagne,
depuis le
monde occidental, dans lequel les nations, aussi développées soient-elles,
n'arrivent pas
à se tendre la main comme des frères. Au moment où, aux extrémités
occidentale et
orientale de notre continent commun, les canons résonnent, une voix
très faible de la dé-
mocratie occidentale Vous appelle, en cette fin d'année : Vive le monde,
mais que ce
soit un monde d'hommes égaux et libres ». Les deux destinataires ont
entendu ces mes-
sages sur les ondes radiophoniques et y ont répondu. Voici un extrait de
la réponse
d'Albert Einstein : « Ce message de Noël est adressé à tous ceux auxquels
tient à
coeur, en cette période de zizanie, la sauvegarde des valeurs spirituelles.
Ils savent bien
que la Tchécoslovaquie est en train de défendre, dans des conditions
difficiles, les li-
bertés politiques et les droits de l'homme, sans lesquelles la vie spirituelle
ne saurait
s'épanouir. L'espoir et les voeux cordiaux de tous les amis de la vérité, de
l'humanité et
de la liberté sont donc destinés à la République tchécoslovaque, située au
coeur de
l'Europe, laquelle, sous la direction d'hommes sages et prévoyants, a su et
sait toujours
travailler pour un avenir meilleur de l'Europe. »
Les émissions vers l'étranger culminent en 1938. Les émissions vers
l'Europe et
l'Amérique ont été prolongées d'une heure, et celles vers l'Est, de deux
heures. Le vo-
lume total des émissions était, dans la première moitié de l'année 1938,
de 9 heures de
diffusion par jour. Les émissions vers l'Europe comprenaient un bulletin
d'informations
tchèque, un programme musical d'une demi-heure, un bulletin
d'informations alle-
mand, des conférences en anglais, allemand ou français, un programme
de musique
d'une demi-heure, un bulletin d'informations français, un programme de
musique de
vingt minutes, un bulletin d'informations anglais, une pause technique et
un programme de musique de 25 minutes. Les programmes de musique occupaient
près des trois
quarts des émissions, les journaux 15 %, les conférences 5%, et les
programmes littéraires et les revues de presse 5%. En 1938, le Radiojournal fut inscrit
parmi les entreprises importantes pour la défense de l'Etat, suite à quoi le contrôle de
l'Etat sur les
émissions se fit plus rigoureux
encore.
Ivan Jelínek, poète et homme de lettres de Brno, commença à travailler pour les émissions ondes courtes, en 1938. Il se souvient de la période mouvementée de la fin des années trente : « Nos émissions en tchèque et slovaque étaient destinées aux compatriotes vivant aux Etats-Unis, les programmes en anglais à l'Angleterre et aux régions de langue anglaise, en Afrique et en Asie ; il en était de même avec les programmes en français ; les émissions en espagnol étaient destinées à l'Amérique du Sud. La station Prague OLR diffusait près de 20 heures par jour, y compris de la musique qui constituait environ un tiers des émissions. Le bulletin d'informations était diffusé en tchèque, en slovaque et dans toutes les langues étrangères mentionnées ; il était acheminé vers l'émetteur par fil, depuis les bureaux de la CTK. Il fallait présenter tous les scripts au censeur, le docteur Fort, qui nous donnait, souvent, de précieux conseils en sauvant, ainsi, beaucoup de choses ».
Ivan Jelínek nous fait part de quelques détails importants. D'abord, c'est la diffusion du journal directement depuis l'agence de presse CTK ce qui, avant la guerre, était valable pour toute la Radio tchécoslovaque. Cet usage a changé, pendant les journées automnales critiques, de l'année 1938. Une section du journal fut instituée à la radio pour produire des informations en plusieurs langues, pour les émissions en ondes courtes. Il convient de mentionner, aussi, le censeur et le nom de la station. D'autres témoins, encore, confirment l'existence d'un censeur tout en déclarant à l'unisson qu'il n'était pas très sévère, et qu'il ne lisait même pas certains textes, surtout ceux en langues étrangères. En ce qui concerne le code pour l'identification des stations ondes courtes, la Radio tchécoslovaque a obtenu le préfixe international OLR, après lequel suivait le code d'identification de la fréquence. Par exemple, dans la bande des 19 m, l'émetteur de Podebrady utilisait le code OLR 5A et OLR 5B, dans la bande des 25 m le code OLR 4 A et, dans la bande des 49 m, le code OLR 2A. Quelques premières mesures de la symphonie "Du Nouveau Monde" d'Antonin Dvorak furent utilisées en tant qu'indicatif des émissions en ondes courtes.
La speakerin Bozena Danesova
En automne 1938, au moment du Traité de Munich, qui a légiféré le
transfert des régions limitrophes - les Sudètes - à l'Allemagne, les émissions furent
considérablement
élargies. La part du bulletin d'informations a augmenté et l'ampleur
totale des émissions, pendant la crise de septembre, a atteint 22 heures par jour. Peu
après la signature
du Traité de Munich - le 15 octobre 1938 - un nouveau schéma de
diffusion fut mis sur
pied. Aux émissions existantes pour l'Europe, l'Amérique et l'Orient
s'ajoutèrent deux
nouvelles émissions pour l'Amérique centrale et l'Amérique du Sud. La
durée totale du
programme a atteint 19 heures par jour, dont 14 heures de musique et
plus de 3 heures
d'informations. Aux langues existantes (tchèque/slovaque, anglais,
allemand, français,
ruthin, espagnol) s'ajoutèrent l'italien, le portugais, le serbo-croate et le
roumain. Pour
obtenir le maximum d'efficacité, les émissions en ondes courtes firent
une fusion avec
la station du pays, Prague II. Le programme des émissions en ondes
courtes, et de la station Prague II, fut donc diffusé, à la fois, sur les ondes courtes et sur les
petites ondes.
En décembre 1938, après la perte des émetteurs, dans les régions
limitrophes, et après
une indépendance partielle de la Radio slovaque, la société Radiojournal a
changé de
nom. Elle s'appellera, dorénavant, la Radio tchécoslovaque.
Gordon Skilling, journaliste canadien et futur historien, travaillait à la Radio tchécoslovaque, au moment du Traité de Munich. A Prague, il achevait sa thèse et collaborait, aussi, en tant que rédacteur, aux émissions en ondes courtes : « J'ai travaillé à la section des émissions vers l'Amérique du nord. Je préparais des bulletins d'informations sur la base d'informations tchèques et d'articles dans la presse. Je me souviens de la déception énorme des gens, après Munich. L'un des mes supérieurs à la radio - il s'appelait Kraus - est allé jusqu'à jeter dans la Vltava, en signe de protestation, sa distinction française, la Légion d'honneur ». Ici, il y a lieu d'évoquer les émissions en espéranto, qui jouèrent un rôle important, lors de l'information de l'opinion mondiale sur l'actualité tchécoslovaque, avant la guerre. Les émissions en espéranto ne faisaient pas partie des émissions vers l'étranger, elles se tournaient, tout de même, vers le même public. Elles étaient préparées par les stations du pays, à Brno et à Ostrava, et étaient diffusées sur les petites ondes. Elles présentaient des conférences sur la Tchécoslovaquie et, en 1938, aussi, des informations sur la situation politique. Les réactions aux émissions en espéranto arrivaient du monde entier, durant la dernière année avant la guerre. On en a reçu au total plus de 2000. Deux programmes en espéranto furent diffusés en 1938, aussi, en ondes courtes.
Le 15 mars 1939, le reste de l'Etat tchèque fut occupé par l'Allemagne nazie et le dit protectorat de Bohême et de Moravie fut proclamé. La speakerine Bozena Danesova se souvient de cette journée. « Le 15 mars, j'étais assise au studio, les émissions allaient bientôt commencer. J'attendais le signal habituel de l'émetteur à Podebrady . Personne ne s'attendait à ce qui allait arriver. On frappa à la porte et un officier allemand entra. Je dois admettre qu'il fut courtois. Il s'est excusé en disant qu'il était très désolé, mais que les émissions de Podebrady avaient été stoppées. Et c'est ainsi qu'a pris fin la période d'avant-guerre de l'émetteur ondes courtes qui s'annonçait en tant qu'OLR. L'occupation a mis également fin à ma carrière de speakerine ».
La plaque consacrée aux victimes du fascisme sur le bâtiment de la Radio tchèque porte le nom de Zdenka Walló
En se souvenant des événements dramatiques du 15 mars, Ivan Jelínek
dit: "Un nouveau chef fut nommé, dans le bâtiment de la radio. Son titre était
«Führers Stellvertreter»,
il s'appelait Marek. Je suis allé le voir pour lui dire que j'avais
soigneusement étudié le
discours de Hitler, dans lequel il promettait une pleine indépendance
culturelle à la nation tchèque. Or, me voilà pour lui demander si la radio fait partie de la
culture de la nation tchèque. Surpris, Marek m'a pourtant répondu par l'affirmative. Je
lui ai donc demandé de donner l'ordre de renouveler le fonctionnement de la station
en ondes courtes, Prague OLR. Marek a promis de s'assurer de ce qu'il était possible de
faire en la matière.
Et, en effet, deux jours plus tard, il m'a appelé pour me dire qu'il
autorisait la continuation
des émissions en ondes courtes, mais uniquement en langue tchèque".
Ce souvenir témoigne de ce que, pendant la guerre, les émissions en ondes courtes n'ont pas entièrement disparu. De près de 20 heures d'émissions, deux heures seulement diffusées vers l'Amérique du nord, sont restées. On diffusait, presque exclusivement, de la musique, avec un bulletin officiel d'informations de dix minutes, sur la fréquence indiquée comme OLR 4A, dans la bande des 25 m et, en été, OLR 5A, dans la bande des 19 m.
Dès l'occupation, la Radio tchéco-slovaque mutilée donna naissance à la Radio tchèque, qui fit partie de la Radio du Reich, en tant que Rundfunk Böhmen und Mähren. Tous les médias officiels - y compris la radio - devinrent les instruments de la propagande nazie. Sur ordre du ministère des Transports et Communications, les personnes d'origine juive durent quitter la radio, déjà, en 1939. La plupart des rédacteurs et des speakers des émissions en ondes courts d'avant-guerre quittèrent la radio. Certains d'entre eux - ce fut le cas d'Ivan Jelínek - prirent le chemin de l'émigration, d'autres changèrent de profession. La vie de la speakerine Zdenka Walló, d'origine juive, s'est éteinte dans un camp de concentration. La plaque consacrée aux victimes du fascisme, placée sur le bâtiment de la Radio tchèque, rend hommage à sa mémoire.